Les révoltés anti-Brexit pourraient provoquer un nouveau référendum

La campagne des anti-Brexit: organiser un nouveau référendum pour éviter les risques liés à une sortie de l’UE. (Photo: Bombaert via Getty Images)
La campagne des anti-Brexit: organiser un nouveau référendum pour éviter les risques liés à une sortie de l’UE. (Photo: Bombaert via Getty Images)

Spectaculaire renversement de tendance en Grande-Bretagne: les tenants du Brexit sont devenus nettement minoritaires dans l'opinion. D'où la campagne des anti-Brexit: organiser un nouveau référendum pour éviter les risques liés à une sortie de l'UE.

Depuis des semaines, l'opinion britannique est en ébullition. A Londres, le débat politique s'affole, les perspectives d'avenir sont troublées, même la City est encerclée par le doute populaire. Que se passe-t-il au grand Royaume de sa Majesté?

Il y a deux ans, les souverainistes anglais jouaient les fiers à bras. Dans une campagne référendaire où les gros mensonges passaient comme des évidences, celles du "bon sens bien de chez nous". Ils assuraient que l'avenir de leur pays, c'était une solution: sortir de l'Union Européenne, cette zone de libre échange qui leur avait tant apporté mais qui, au bénéfice d'une "crise migratoire" et identitaire sans précédent, devenait repoussoir et même bouc-émissaire. L'économie se porte bien au pays de la Livre mais nous n'allons tout de même pas nous faire piquer tous les nouveaux jobs low cost par les Polonais, Roumains ou autres Est-européens encore plus à l'Est?!! Par ces réfugiés venus d'Irak ou d'Afghanistan qui rêvent d'accoster les îles britanniques, cet Eldorado pour beaucoup d'entre eux, au point d'endurer de très longs mois d'attente, dans la misère et la périphérie de Calais ou d'ailleurs sur le continent européen...

L'armée des démagogues transformée en petits bataillons désordonnés

Très vite, aussitôt le référendum remporté (avec 52% des suffrages), un peu effarés par leur propre victoire démagogique, les tenants du Brexit se sont éclipsés du devant de la scène, comme l'ultra-national-conservateur Nigel Farage, qui s'est montré d'un seul coup très discret, laissant entendre qu'il avait lui-même besoin de changer de disque. Face au réel des négociations à engager avec l'Europe, l'armée des démagogues nationalistes s'est transformée en petits bataillons désordonnés et presque honteux. C'est ainsi que depuis deux ans, les citoyens britanniques ont découvert, de semestre en semestre, que la sortie de l'UE n'était pas seulement une gageure mais qu'elle devenait une véritable galère, pour eux d'abord!

Le grand négociateur de l'Europe des 27, Michel Barnier, a eu beau mettre beaucoup de formes et de diplomaties dans ses discussions, les Britanniques ont vite compris que l'UE ne plierait pas devant certaines conditions de sortie qui ont pu être avancées par Londres. Pour faire rapide, le Haut représentant de l'Union Européenne, bien mandaté pour cela, a fait valoir une évidence: on ne peut pas sortir à moitié d'un espace de règles et de vie communes, construit après des décennies d'accords (plus ou moins chaotiques) et d'efforts (réellement consentis par les Etats-membres). Dans cette affaire, l'Europe des 27 joue aussi sa cohérence future et sa crédibilité actuelle. Vous voulez votre liberté? Mais prenez-là, totalement si cela vous chante! Et bon vent dans le monde impitoyable de la mondialisation des échanges...

Comment peser seul face aux Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Japon???

C'est ainsi que les Britanniques ont par exemple découvert que l'Union Européenne étaient concernée par plus de 700 accords internationaux qui ont, chacun, leur importance pour la vie quotidienne des citoyens (à commencer par leur portefeuille de consommateur). Un gros paquet d'accords que la Grande Bretagne, de fait, risque de quitter en quittant l'UE. Avec ce sacré inconvénient en prime: chacun de ces 700 accords devra ensuite être renégocié, un par un, par la Grande-Bretagne souveraine en théorie mais par une administration nationale spécifique (au sujet de la renégociation internationale) qui, dans la plupart des cas, n'existe plus! Cela prendrait donc des années, rien que pour réunir les conditions juridiques de pouvoir renégocier. Le tout dans des conditions politiques incertaines: peser toute seule face aux Etats-Unis, le Canada, la Russie, la Chine ou le Japon... on comprend que cela donne le vertige, ou la migraine, au plus outrecuidant des Anglais! Et que cela crée de fortes tensions dans la société civile Outre Manche, qui craint naturellement cette perspective.

Les sondages le montrent avec éclat. Le renversement de tendance est spectaculaire. Après avoir culminé au-dessus de la barre des 50% le temps d'une campagne du ressentiment national, les partisans du Brexit sont en plein reflux, certains parlent même d'une débâcle. Le maintien dans l'UE recueillait ainsi une très large majorité de 59% des intentions de vote, début septembre[1]. Les études montrent aussi une aspiration majoritaire dans l'opinion – pas - encore? - dans la classe politique et parlementaire britannique en faveur d'un nouveau référendum, éclairé celui-là sur la base de réalités tangibles et non d'incantations[2].

Dans ces conditions, sans assise populaire durable, les gouvernants anglais peuvent-ils tenter une demie sortie de l'UE, trouver un accord mi-chèvre mi-chou, leur donnant les avantages de leur ex-adhésion à l'UE tout en prenant la pleine liberté sur ce qu'ils souhaitent? Michel Barnier, en cette période décisive, garde le sourire, évoque "le calme et la patience", mais se montre assez intraitable sur l'essentiel. Car si les Britanniques ont progressivement découvert les conséquences négatives de leur sortie de l'UE, avant même d'affronter en solitaire les vents tumultueux de la mondialisation, les Européens, eux, peut-être d'un œil encore distrait, observent aussi, symétriquement, les avantages de rester unis. Dans les bras de fer, de tous ordres, qui caractérisent la scène mondiale, est-ce mieux être 27 ou seul pour discuter?

Le tableau qui circule actuellement chez les partisans de l'Europe unie

Un tableau édifiant circule d'ailleurs, actuellement, dans les rangs du Mouvement Européen, cette historique association de citoyens des deux bords ("et gauche, et droite") qui croient depuis longtemps en les vertus et les atouts de l'Europe, qui doit d'autant plus rester unie que des fracas se font entendre à ses frontières extérieures et que le développement économique se fait ailleurs, à son détriment. Ce tableau[3] montre qu'actuellement dans le G8 (les huit plus grandes économies du monde) quatre nations européennes figurent: l'Allemagne, le Royaume Uni, la France, l'Italie. Et en 2050? Tout est bouleversé: un seul pays arrive à rester dans le groupe du G8, l'Allemagne. Tous les autres sont rétrogradés! Par l'impressionnante montée, non seulement de la Chine, qui passe de la 2ème place à la 1ère, mais par l'Inde, qui passe de la 7ème place à la troisième, l'Indonésie, qui entre dans le top 8 en se hissant rapidement à la 4ème place; même le Brésil, actuellement en pleine crise politique, émerge et devancera l'Allemagne, à la 6ème place du fameux G8, en 2050, après-demain à l'échelle de l'histoire, qui s'accélère.

L'argument de Michel Barnier est simple, basique comme dit la chanson: notre seule chance, pour rester à la table des grands du monde, c'est de nous unir. Si on nous comptabilise, nous les Européens unis, en "UE des 27 Etats", on fait déjà mieux que la Chine aujourd'hui: on est deuxième, après les Etats-Unis, dans le tableau d'honneur du G8. Et en 2050, certes nous baissons aussi collectivement mais beaucoup moins brutalement qu'individuellement: nous resterons au 4ème rang du G8, nous "UE des 27", derrière la Chine, les Etats-Unis et l'Inde. De quoi faire bien réfléchir tous les citoyens des Etats-membres de l'Union Européenne, Etas-membres tourmentés par des peurs, apeurés par des démagogues professionnels, qui utilisent comme on sait toutes les crises (migratoires, financières, sécuritaires, culturelles) pour faire flamber les thèses nationalistes, poussées par les flamboyances populistes de la xénophobie et de l'europhobie.

La voix majoritaire des jeunes Anglais peut être audible en Europe continentale

Alors, regardons de près l'évolution des débats en Grande-Bretagne. Ce samedi par exemple, la mobilisation est à l'ordre du jour pour les citoyens anglais qui organisent un grand rassemblement à Londres, en faveur de l'organisation d'un nouveau référendum. Des voix, encore "autorisées" Outre-Manche, font dire qu'il faut laisser sa chance en une négociation avec l'UE, et que Theresa May peut encore gagner la partie, face à Michel Barnier, qui pourrait plier. Mais des voix grondent, et elles sont de plus en plus nombreuses, et pourraient être audibles aussi en Europe continentale: ce n'est pas à nous, Britanniques, malgré notre illustre histoire, de payer les pots cassés de souverainistes irresponsables, qui nous ont dirigé tout droit... dans le mur! Celui des désillusions, et des lendemains qui déchantent.

Ces voix-là, celles des jeunes en particulier, de l'autre côté du Chanel, se font entendre, elles deviennent majoritaires: elles pourraient porter aussi, à terme, en écho, face aux tentations national-populistes qui menacent les équilibres dans le reste de l'Europe. Les effets du Brexit pourraient ainsi rendre grand service à l'Europe des 27.

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[1] Etude d'opinion mentionnée dans un rapport pour les centres d'études NatCen et The UK in a Changing Europe ; cf. Le Figaro.fr avec Reuters, le 5 sept. dernier.

[2] Lire le reportage éclairant sur les "révoltés du Brexit", signé Marion Van Renterghem, dans Vanity Fair (publié le 25 juillet dernier) et l'interview en vidéo de ce grand reporter in www.revuecivique.eu

[3]. Source du tableau « PWC, The World in 2050, Feb. 2017, p. 68. European Commission.

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